Le sexisme s'invite à table !
Je conjure, supplie littéralement, le personnel en salle de beaucoup trop de restaurants de se mettre à la page, et de cesser immédiatement d’accompagner la commande du vin et le service en général d’un sexisme ordinaire à baffer. Putain on est à Paris, en 2016...
Je vous restitue la scène : Je suis au restaurant, nous sommes deux, je suis une femme, la personne en face de moi est un homme. La carte des vins est présentée à table, devant l’homme, évidemment. La serveuse revient, regarde l’homme, évidemment, et lui demande si il a choisi le vin. L’homme me regarde, fais signe que c’est moi qui prendrait la commande (Ohhhhh wwhhhaaaaaa !). Je regarde la serveuse et lui demande « Le Languedoc que vous servez au verre, qu’est ce que c’est ? ». Elle répond, donne le cépage et le profil du vin, en regardant l’homme. Et bien oui, même si le vin sera bu par la femme il faut bien souvent l’approbation de l’homme, n’est-ce pas ? Donc, à ce stade, j’ai une espèce de GIF en tête, de moi me tapant la tronche contre un mur. Je continue, l’air de rien, et lui dis que je prendrais un verre de celui-ci et que cela sera tout pour le vin.
Cette scène, je l’ai vécue cent fois. D’habitude on s’arrête là, et ça suffit déjà à m’agacer.
Cette fois-ci, parce que je suis enceinte, la serveuse s’obstine… elle retire mon verre à vin et laisse le sien à l’homme. Donc, devant elle, je prends le verre de l’homme et le mets devant moi. Est-ce assez clair là, que JE choisis le vin, et que JE vais déguster ce que je veux de ce verre de vin ? Et bien non. J’ajoute : « nous prendrons aussi cette bière blonde artisanale » en regardant ostensiblement l’homme qui me fait face. Et là, elle dit, en me regardant cette fois : « je tiens tout de même à préciser que cette bière n’est pas sans alcool ». Elle n’a toujours pas compris que le vin est pour moi, donc, si j’ai pris le verre à vin, c’est pour m’en faire un chapeau. L’homme rigole, je souris de fatigue, je crois qu’elle a compris, elle s’en va.
Passons rapidement sur le jugement posé sur une femme enceinte, qui est tellement inconsciente qu’elle ose ingurgiter son troisième demi verre de vin de sa grossesse. Quel soulagement j’ai vu dans les regards pointés sur moi, lorsque l'homme de la table a pris le relais sur le verre de vin après ma deuxième gorgée ! Comme me l’a dit un jour une maman infirmière * : « Un petit verre de vin dans le mois, ne fera de mal ni à toi ni à ton bébé pendant ta grossesse, mais ne le fais juste pas devant du monde, ça te tuera ».
C’est vrai, si une femme n’est pas en mesure de décider ce qui est bon pour elle d’habitude, pourquoi le serait-elle lorsqu’elle est enceinte ?! La notion de libre choix ? Les décisions d’une future maman, prises en conscience parce qu’elle s’est informée, y a réfléchi et se positionne, assumant les responsabilités inhérentes au rôle de parent qui l’attend (que l’on soit d’accord ou non avec ces choix) ? Hou là là…. Je sens que je vais trop loin pour beaucoup, ça doit être les hormones n’est-ce-pas (manque de pot les cro-magnon, ce genre de conneries m’agace même quand je ne suis pas enceinte) !
De manière générale, est- ce que ce serait trop demander que la carte des vins soit apportée à table sans être dirigée spécialement vers l’homme, ou qu’elle soit tendue vers la personne qui répondra à une question pas plus folichonne que « qui choisira le vin ? ». Pour ce qui est de choisir, cette serveuse (et patronne en l’occurrence) parmi tant d’autres, pourrait garder en tête qu’une grossesse n’ampute en rien le cerveau d’une femme. Cela aurait pu être un serveur, les femmes en salle n’ont bien sûr pas le monopole du sexisme, elles y sont, par contre, tout aussi enclines. Je pense qu’une caviste, sommelière ou tout simplement amatrice de vin peut continuer de choisir quel vin prendre avec une côte de bœuf, tout en faisant grandir en elle un petit être. Et là, je suis enceinte, mais cela n’était pas le cas toutes ces autres fois où l’homme en question me regardait désemparé, face à cette insistance de la part du personnel de salle à vouloir que IL choisisse et que IL goute. Et oui, il fait tout juste la différence entre un rosé et un rouge, chacun ses compétences et être un homme n’oblige pas à aimer le vin, je vous jure !!
Agacé, ce soir là, l’homme m’interroge « mais pourquoi tu leur rentre pas dedans ?! ». Et bien parce que j’ai tort.
Très souvent, lorsque ces scènes se produisent, si par ailleurs la serveuse est gentille et souriante, si je perçois, comme ce soir, des clients voisins aussi désagréables que perturbateurs dans leurs commandes, et qu’affairée la serveuse reste tout de même polie et souriante, je compatis et je « n’en rajoute pas ». Pourtant, garder le sourire n'excuse pas un service obsolète.
Induire par le service que l’homme choisira le vin et payera la note, supposer encore plus systématiquement lorsque la cliente est une femme qu’elle ignore tout du produit, ne devrait plus exister, et pourtant ! Si j’ai à cœur de toujours employer un ton respectueux et agréable lorsque je m’adresse à ces professionnels (qui, il faut bien le dire, ont leur lot d’attitudes merdiques de la part des clients… dont parfois un sexisme tellement fort aussi), c’est en effet un tort que de relever l’amertume d’une ganache, la température de service du vin ou autre élément se rapportant à la cuisine et au produit, ou même un manque d’amabilité ou d’efficacité en salle, mais de laisser passer ce sexisme aussi ordinaire qu'inacceptable.
En 2016, le minimum pour un service de qualité effectué par des professionnels serait d’exclure toute forme de sexisme. A bon entendeur !
*Vous trouverez évidemment d’autres professionnels du corps médical qui affirment qu’aucune goutte d’alcool ne doit être consommée pendant la grossesse, les avis divergent et se valent, je ne prêche ici aucune recommandation vis-à-vis de la consommation pendant la grossesse. Par contre je crois qu’une future maman informée est, dans la mesure de ce que la loi l’autorise, libre de ses choix.